Collection » Femmes en mouvement » ( retrouvé en classant des livres )
» La création étouffée » : pour les deux auteures ( avec – e- cela leur fera plaisir ! ), il s’agit d’une évidence, car les femmes sont empêchées de » création « , et elle le disent avec énergie, violence, et un parti-pris réjouissant.
L’essai, certes daté, incite à la réflexion, provoque une rétrospective, et fait réviser… quelles femmes sont des « créatrices » ?
Tout d’abord, le titre : qui » crée » ? On nous apprenait beaucoup de choses, en classe, dont cette affirmation: seul, Dieu crée l’Univers, etc, à partir de rien.
Les suivantes et suivants font preuve de de créativité, et c’est très différent.
Dans la série » Soeur Thérèse.com », Dominique Lavanant, excellente dans le rôle, ne laisse pas passer les » J’adore » ,répondant » On n’adore que Dieu » et, de même, rappelle à ses interlocutrices que … » seul Dieu crée »
Cela posé, les auteures constatent en 1983 que » la création est étouffée « . La création féminine évidemment.
Trente ans après, se pose la question : la création – féminine- est-elle étouffée ?
Ces dames, Suzanne Horer, Jeanne Socquet, se veulent subversives et novatrices dès leurs premières pages, reconnaissant toutefois qu’elles proposent une utopie, mais après tout pourquoi pas ? :
» Nous pensons qu’il est regrettable, voire néfaste, que les femmes se mettent à courir après les marionnettes, les oripeaux, les formules déjà usées par les hommes : si, dans le même contexte, il y a des femmes députées, polytechniciennes, P.D.G. , banquières, créatrices, et si elles sont tout cela à la manière des hommes, elles ne feront qu’ajouter aux monuments d’incompétence, aux appétits de puissance, aux soifs de gloriole, aux leurres et aux asservissements déjà en place. On ne voit pas où serait l’intérêt de la course et où serait l’intérêt des femmes.
Nous pensons qu’il faut que les femmes proposent d’autres formes de sociétés, d’autres formes de création, d’autres buts, d’autres avenirs, et par » buts »; nous entendons meilleurs, valorisant l’être humain dans son entier, le libérant véritablement, le mettant face à face avec lui-même, et non un double, une ombre, une image, un golem.
Pourquoi, nous direz-vous, les femmes réussiraient-elles là où les hommes ont échoué ? Pourquoi pas ? C’est un essai qui vaut la peine d’être tenté !
Il ne faut pas mettre ses pas dans les empreintes qu’on laissées les hommes sur cette terre ? A quoi bon refaire les mêmes erreurs. Les résultats n’en sont que visiblement que trop catastrophiques. Nous ne croyons pas aux révolutions sociales pour » changer l’homme », ce genre de secousse déplace les problèmes sans les résoudre jamais dans leur profondeur : ce sont des réponses provisoires, comme dans les religions.
Nous croyons aux évolutions conscientes, menées consciemment par des êtres humains qui veulent assumer tous leurs possibles, vivre enfin, et ne pas se contenter de survivre.
Nous pensons que les femmes n’ont rien à perdre à se vouloir une autre humanité et tout à gagner à vouloir se la forger elles-mêmes. «
Le travail créatif serait rendu impossible, selon elles, par la masse d ‘obligations, les heures passées à gagner sa vie, dévorées par les transports : » c’est enfoncer les portes ouvertes de dire que dans cette masse sacrifiée, les femmes ont en plus la charge de la maison, des maternités et des enfants …
… parmi ceux qui croient que dans le veilleur de nuit se cache éventuellement un Henry Miller et qui peuvent passer pour des esprits ouverts, combien pensent que dans une femme de ménage se cache une Séraphine de Senlis ( femme de ménage justement et peintre découverte par W. Uhde )… essayez donc de dire » … combien de Louise Labbé… noyées dans l’eau de vaisselle. »..
En réalité, le monde est plein de créateurs, mais ils sont niés, hommes comme femmes, mais bien sûr les femmes beaucoup plus que les hommes, en vertu de l’adage : » la femme du moujik est toujours plus malheureuse que le moujik…. »
… Les femmes doivent réclamer le droit à la création : il n’y a plus de Michel-Ange femelle ? Valadon est seulement la mère d’Utrillo ? Il n’y a pas de J.-S. Bach femelle, Marie Curie, c’est Pierre Curie ? G. Sand est la vache laitière de la littérature ? Et alors …
Elles citent quelques créatrices sans modèles » : Christine de Pisan, Louise Labbé, Madame de Sévigné, Madame de Lafayette, Madame de Staël, Colette, Mazo de la Roche. Elles ajoutent Marceline Desbordes-Valmore, Colette, Virginia Woolf, en tant que femmes » qui ont refusé les chapelles littéraires, les écoles, les théories, qui ont été à l’aise dans leur liberté de création, ont été connues de leur temps et reconnues de leur temps. »
Elles observent justement que » la marginalité de l’homme créateur est considérablement réduite grâce à la femme qui l’installe dans le social, le soutient, l’admire, souvent l’entretient et toujours lui évite les petits tracas quotidiens, et le conforte dans sa position, dans son choix.
La femme créatrice devra seule subvenir à sa vie, son temps sera haché et son énergie sera consommée ailleurs que dans sa création. »
Certes, et je pense à une conférence des « Annales » retransmise dans le courant de l’été 2013 pour France-Culture :
Simone André-Maurois parlait de la » femme d’écrivain », avec beaucoup d’humour et de talent. Elle fit preuve d’un dévouement sans limite, mais obtint aussi sa place conjointe en littérature avec » L’encre dans le sang » etc.
Je pense aussi à Margaret Mitchell, dont la mère et la grand-mère étaient des féministes convaincues, organisant des conférences dans leur salon, pour galvaniser leurs troupes, dont Margaret. Celle-ci se fit un nom en tant que journaliste, prenant des risques, comme dans la vie, et c’est à la suite d’ailleurs d’un accident, alors qu’elle était bloquée au lit, que son mari lui apporta des rames de papier et l »engagea à écrire, car elle avait épuisé tous les:ivres de la bibliothèque ! Ainsi naquit Autant en emporte le vent » oeuvre géniale s’il en est. Elle s’y épuisa, resta modeste dans le succès, et mourut très jeune à la suite d’ un accident dans la rue, dont elle avait eu d’ailleurs la prémonition.
Créativité bloquée ? Je pense à Marie Laurencin, qui connut immédiatement le succès et l’aisance financière, délivrée des soucis de gestion par Paul Rosenberg, Mais il y eut le procès, à n’en plus finir, qui lui donna des soucis pendant très longtemps. Il s’agissait de son appartement-atelier de la rue Ravignan, qu’elle aimait tant. Le propriétaire la fit partir, et il s’ensuivit un long, long procès, qu’elle finit par gagner grâce à son défenseur, Maître Maurice Garçon. Ce contexte conflictuel était totalement à l’opposé de son monde de douceur et de délicatesse, et Marie en souffrit.
En fin de volume, les deux auteurs joignent des témoignages : le temps a passé, et ils prennent de nos jours une valeur historique intéressante.
Que sont-elles devenues, comment ont-elles évolué, celles qui témoignent, Colette Audry, Marie Cardinal, Josée Dayan Marguerite Duras, Léonor Fini… Geneviève Serreau, Agnès Varda.
( Il est amusant de lire chez ces deux auteures une théorie des « archétypes », analogue à celle des » genres ». Elle a mijoté longtemps ! )