La création étouffée – petite suite… sur une femme artiste sculpteur, Simone Mary

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    Suzanne Horer  et  Jeanne Socquet  évoquent Simone Mary  pages 30, .31 :

 » Le cas de Simone Mary illustre notre propos de façon exemplaire ; d’abord jeune femme brillante, sculpteur admiré du « Tout Paris », elle travaille et expose  dans les milieux officiels et mondains et son oeuvre est très appréciée.

  Petit à petit, elle se met à vivre de façon  inhabituelle, s’entourant d’animaux nombreux et travaillant de moins en moins. Survient la guerre de 39. Elle se transforme en clocharde, donnant ses biens, devient miséreuse au point que  la police la fait interner sur le rapport suivant  : –  » Manie chronique. Autrefois sculpteur de grand talent,  ne travaille plus  depuis vingt ans. Existence misérable dans un taudis immonde. Maigreur extrême. Misère. Refus d’aliments. Activité désordonnée et stérile qui oscille entre un rôle altruiste et un rôle revendicateur.  Donne ce qu’elle a. Prêche le Bouddhisme et la paix. Persécute sans arrêt ceux qu’ elle a connus autrefois. Graphorrée typique avec majuscules, titres, soulignages. Affaiblissement intellectuel. Vit dans son passé. Mégalomanie. Troubles de la mémoire.  Déficit évident du jugement. Inconscience totale de la situation. En observation depuis longtemps. A lassé toutes les bonnes volontés. L’internement s’impose  » –

  Au bout de quelques mois d’hospitalisation, Simone Mary reprend sa création artistique mais complètement différente de celle de sa jeunesse.

 –  » Pas la moindre parenté entre  ces ouvrages et ceux qui naguère avaient motivé son renom; c’est comme la production d’une autre personne  qui s’ adonnerait à la création d’art en toute innocence  pour la première fois…  Ses troubles de mémoire ont par bonheur effacé ses souvenirs  de tout plan social et  et détruit par là tous les liens et tous les freins  qui paralysaient la vraie voie… et quelle assurance, quelle tranquille certitude, quel plein contentement  resplendissent dans ses nouveaux dessins ! Applaudissons à cette perte de mémoire, à cette perte de conscience des proches contingences, à la faveur de quoi se trouvent libérées, se trouvent déchaînées de si  fécondes forces »…’

   Il faudrait  citer tout l’article qui se  trouve dans les publications de  « l’ Art brut  » de   Dubuffet, fascicule 6 ( Paris, 1968 ).

   Les deux auteures ajoutent :

   » Bien entendu, la chiennerie profitera de l’aubaine pour dire qu’il faut que les femmes deviennent  folles pour faire oeuvre de création !

 On peut répondre que  ce n’est pas une condition sine qua non, mais qu’en effet une forme de folie peut aider à soulever le poids des idées  reçues et libérer les couches profondes de l’individu et qu’une position autiste est plus féconde qu’une position sociale, quant à la création artistique en tout cas ».

 On pense inévitablement à Camille Claudel. Quand on lit cette appréciation, on se dit qu’elle a choisi d’échapper à sa façon, par le silence dans sa claustration, l’arrêt de toute oeuvre,   à une société aussi dure.

( Tous droits réservés – Copyright, etc )

 

 

A propos d’un livre paru en 1973 qui se voulait subversif : La création étouffée – par Suzanne Horer et Jeanne Socquet- Pierre Horay

 Collection   »  Femmes en mouvement  »  ( retrouvé en classant des livres )

    » La création étouffée  »  :  pour les deux auteures (  avec – e- cela leur fera plaisir ! ), il s’agit d’une évidence, car  les femmes sont empêchées de  » création « , et elle le disent avec énergie,  violence, et un parti-pris réjouissant.

     L’essai, certes daté, incite à la réflexion,  provoque une rétrospective, et fait réviser… quelles femmes sont des « créatrices » ?

 Tout d’abord, le titre : qui  » crée » ? On nous apprenait beaucoup de choses, en classe, dont cette affirmation: seul, Dieu crée l’Univers, etc, à partir de rien.

   Les suivantes et suivants font preuve de  de  créativité, et c’est très différent.

   Dans la série  » Soeur Thérèse.com », Dominique Lavanant, excellente dans le rôle, ne laisse pas passer les  » J’adore » ,répondant   » On n’adore que Dieu  » et, de même, rappelle à ses interlocutrices que …   » seul Dieu crée »

   Cela posé, les auteures constatent en 1983 que   » la création est étouffée « . La création féminine évidemment.

   Trente ans après, se  pose la question :  la création – féminine- est-elle étouffée ?

   Ces dames, Suzanne Horer, Jeanne Socquet,  se veulent subversives et novatrices dès leurs premières  pages, reconnaissant toutefois qu’elles proposent une utopie, mais après tout pourquoi pas ? :

 »  Nous pensons qu’il est regrettable, voire néfaste, que les femmes se mettent à courir après les marionnettes, les oripeaux,  les formules déjà usées par les hommes : si, dans le même contexte, il y a des femmes députées, polytechniciennes, P.D.G. , banquières, créatrices,  et si elles sont tout cela  à la manière des hommes, elles ne feront qu’ajouter aux monuments d’incompétence, aux appétits de puissance, aux soifs de gloriole, aux leurres et aux asservissements déjà en place. On ne voit pas où serait l’intérêt de la course et où serait l’intérêt des femmes.

   Nous pensons qu’il faut que les femmes proposent d’autres formes de sociétés, d’autres formes de création,  d’autres buts, d’autres avenirs, et par  » buts »; nous entendons meilleurs, valorisant l’être humain dans son entier, le libérant véritablement, le mettant face à face avec lui-même, et non un double, une ombre, une image, un golem.

   Pourquoi, nous direz-vous, les femmes réussiraient-elles là où les hommes ont échoué ? Pourquoi pas ? C’est un essai qui vaut la peine d’être tenté !

  Il ne faut pas mettre ses pas dans les empreintes qu’on laissées les hommes sur cette terre ? A quoi bon refaire les mêmes erreurs. Les résultats n’en sont que visiblement que trop catastrophiques.  Nous ne croyons pas aux révolutions sociales  pour         » changer l’homme », ce genre de secousse déplace les problèmes sans les résoudre jamais  dans leur  profondeur : ce sont des réponses provisoires, comme dans les religions.

   Nous croyons  aux évolutions conscientes,  menées consciemment par des êtres humains qui veulent assumer tous leurs possibles, vivre enfin, et ne pas se contenter de survivre.

   Nous pensons que les femmes n’ont rien à perdre   à se vouloir une autre humanité et tout à gagner à vouloir se la forger elles-mêmes. « 

   Le travail créatif serait rendu impossible, selon elles, par la masse d ‘obligations, les heures passées à gagner sa vie, dévorées par les transports :  »   c’est enfoncer les portes ouvertes de dire que dans cette masse sacrifiée, les femmes ont en plus la charge de la maison, des maternités et des enfants …

parmi ceux qui croient que  dans le veilleur de nuit se cache éventuellement un Henry Miller et qui peuvent passer pour des esprits ouverts, combien pensent que dans une femme de ménage se cache une Séraphine de Senlis ( femme de ménage justement et peintre découverte par W. Uhde )… essayez donc de dire  » … combien de Louise Labbé… noyées dans l’eau de vaisselle. »..

   En réalité, le monde est plein de créateurs, mais ils sont niés, hommes comme femmes,  mais bien sûr les femmes beaucoup plus que les hommes, en vertu de l’adage :  » la femme du moujik  est toujours plus malheureuse que le moujik…. »

Les femmes doivent réclamer le droit à la création : il n’y a plus de Michel-Ange  femelle ? Valadon est seulement la mère d’Utrillo ? Il n’y a pas de J.-S. Bach femelle,  Marie Curie, c’est Pierre Curie ? G. Sand est la vache laitière de la littérature ? Et alors …

   Elles citent quelques créatrices sans modèles  » :  Christine de Pisan, Louise Labbé, Madame de Sévigné, Madame de Lafayette, Madame de Staël, Colette, Mazo de la Roche. Elles ajoutent  Marceline Desbordes-Valmore,  Colette, Virginia Woolf,  en tant que femmes  »  qui ont refusé  les chapelles littéraires, les écoles, les théories, qui ont été à l’aise dans leur liberté de création, ont  été connues de leur temps et reconnues de leur temps. »

   Elles observent justement que  » la marginalité de l’homme créateur  est considérablement réduite  grâce à la femme qui l’installe dans le social, le soutient, l’admire, souvent l’entretient  et toujours  lui évite les petits tracas quotidiens, et le conforte dans sa  position, dans son choix.

  La femme créatrice devra seule subvenir à sa vie, son temps sera haché et  son énergie sera consommée ailleurs que dans sa création. »

    Certes, et je pense à une conférence des  « Annales » retransmise  dans le courant de l’été 2013 pour France-Culture :              Image

Simone André-Maurois  parlait de la   » femme d’écrivain », avec beaucoup d’humour et de talent. Elle fit preuve d’un dévouement sans limite, mais obtint aussi sa place conjointe en littérature avec  » L’encre dans le sang  »  etc.

  Je pense aussi à Margaret Mitchell,  dont la mère et la grand-mère étaient des féministes convaincues, organisant des          conférences dans leur salon, pour galvaniser leurs troupes, dont Margaret. Celle-ci se fit un nom en tant que  journaliste, prenant des risques, comme dans la vie, et c’est à la suite d’ailleurs d’un accident, alors qu’elle était bloquée au lit, que son mari lui apporta des rames de papier et l »engagea à écrire, car elle avait épuisé tous les:ivres de la bibliothèque ! Ainsi naquit Autant en emporte le vent »  oeuvre géniale s’il en est.  Elle s’y épuisa, resta modeste dans le succès, et mourut très jeune à la suite d’ un accident dans la rue, dont elle avait eu d’ailleurs la prémonition.

  Créativité bloquée  ? Je pense à Marie Laurencin,  qui connut immédiatement le succès et l’aisance financière, délivrée des soucis de gestion par Paul  Rosenberg, Mais il y eut le procès, à n’en plus finir, qui lui donna des soucis pendant très longtemps. Il s’agissait de  son appartement-atelier de la rue Ravignan, qu’elle aimait tant. Le propriétaire la fit partir, et  il s’ensuivit un long, long procès, qu’elle finit par gagner grâce à son défenseur, Maître Maurice Garçon. Ce contexte conflictuel était totalement  à l’opposé de son monde de douceur et de délicatesse, et Marie en souffrit.Image

  En fin de volume, les deux auteurs joignent des témoignages :  le temps a passé, et ils prennent de nos jours une valeur historique  intéressante.

   Que sont-elles devenues, comment ont-elles évolué, celles qui témoignent, Colette Audry, Marie Cardinal, Josée Dayan Marguerite Duras, Léonor Fini… Geneviève Serreau, Agnès Varda.

 ( Il est amusant de lire chez ces deux auteures  une théorie des  « archétypes », analogue à celle des  » genres ». Elle a mijoté longtemps ! )