Un grand roman de moeurs réédité parmi les chefs d’oeuvre de la collection » Vintage » publiée par Belfond.
Il procure un parfait dépaysement en 500 pages qui se tournent trop vite. Nous voici transportés dans l’Amérique chic, et même ultra-chic d’une station balnéaire qui a ses codes de bonne conduite, ses mystères, et ses scandales évidemment étouffés, au cours de l’été 1926.
Mr North, ainsi se nomme le jeune narrateur en qui Thornton Wilder a mis beaucoup de lui-même, puisqu’il a utilisé son Journal transposé en forme de roman – le dosage entre le romanesque et la réalité restant son secret.
Donc le narrateur est fatigué d’exercer sa profession d’enseignant, même temporaire, en attendant mieux, ou autre chose. Il donne sa démission, achète une voiture d’occasion à un ami, qui tient la route juste le temps d’arriver à Newport, où il la revend, et il acquiert une bicyclette. La jolie station balnéaire lui plait tout autant que huit ans auparavant, quand il faisait son service militaire chez les garde-côtes.
Comme l’auteur, Theophilus North a déjà beaucoup voyagé, d’abord avec ses parents entre la Californie et la Chine, puis il a parcouru, en étudiant, l’Europe, la France. Sa culture est grande, ses curiosités multiples, autant que ses vocations successives. Il a rêvé d’être un saint, tout simplement, puis un anthropologue, ou sociologue, également détective » stupéfiant « , puis un » stupéfiant comédien « , magicien, amoureux, aventurier, homme libre.
A Newport, il va pouvoir jouer tous ces rôles à la fois. C’est l’été, et il a l’idée de donner des leçons de tennis, puis sa bonne éducation, son agréable physique, sa culture inspirent confiance, et on lui demande de faire la lecture, de donner aussi des leçons de littérature, de français, d’allemand, d’italien, à des élèves de tous âges.
Ainsi il pénètre dans les familles les plus fermées de Newport, et il rend de multiples services. Mais jamais il n’accepte d’invitation à déjeuner ou dîner.
Par exemple, il se rend compte qu’un véritable complot familial se trame autour d’un vieux monsieur très riche, au point que ce monsieur est convaincu qu’il souffre d’une grave maladie et il vit reclus chez lui. Mr North et lui échangent beaucoup sur la littérature, et peu à peu le jeune homme parvient à le convaincre que le médecin fourni par la famille ne lui fait pas de bien, mais qu’il peut sortir, marcher sans danger, et remettre un peu d’ordre dans son entourage. Ce n’est pas sans risque pour Mr North qui est menacé, mais il a déjà su se concilier les policiers de la région, évidemment en toute discrétion. Ce sont des relations utiles.
Chaque chapitre contient une intrigue, et elles différent toutes les unes des autres. Bien sûr, Mr North apporte à chaque fois sa solution.
Ainsi il est averti qu’une jeune fille de vingt six ans, Diana » qui a déjà usé pas mal de souliers de bal » s’apprête à s’enfuir avec un jeune homme pourtant fort convenable. Il faut absolument empêcher ce scandale. Comment le sait-on ? La famille a fouillé dans son linge et trouvé une lettre. Mr North agit avec la plus grande diplomatie, rencontre les amoureux et parvient à persuader la fugitive de retourner au cours de la même nuit dans la maison familiale. Les apparences sont sauves. Tant pis pour ce qui était peut-être son grand amour, Diana doit retrouver son père autoritaire qui la prive de liberté, mais sa réputation est sauve.
Il y a plus amusant, quand Mr North découvre ce qui est un atelier de contrefaçons de manuscrits » authentiques » en appartement. Il décourage les malfaisants d’une façon tout à fait astucieuse.
Il noue une liaison avec une femme très élégante, qui en tant que journaliste, écrit avec esprit sur les habitants de Newport chez qui elle n’est pas reçue, car elle fait partie du » demi-monde », il vole au secours d’une jeune femme cloîtrée chez elle car elle attend un bébé et est supposée être fragile, tandis que son mari la trompe. Evidemment elle en souffre, et Mr North s’en aperçoit. Il lui lit Shakespeare, et elle découvre les joies de la lecture, demande des livres, reprend goût à la vie. Mr North fait bien davantage, car il persuade le mari de demander pardon à sa femme et de lui rester fidèle.
Une maison est supposée être hantée, au point que sa propriétaire la quitte tous les jours en fin d’après-midi car elle y a trop peur la nuit. Mr North fait circuler des bruits contraires, très positifs, par exemple un miracle s’y est produit. Et cela marche. On accourt !
Il délivre une jeune veuve très jolie, maman d’un petit garçon, d’un poids douloureux, et elle aussi retrouve la paix. Le magicien qu’est Mr North organise son remariage avec un diplomate de ses amis … Coup double !
Mr North a bien soin de faire remarquer que son prénom, Theophilus, est la traduction en grec du prénom de Mozart, Amadeus – aimé de Dieu.
Délicieuse lecture, animée par un style fort élégant : Mr North est très cultivé et spirituel.
Thornton Wilder – Mr North – ( titre original : Theophilus North ) – Roman traduit de l’américain par Eric Chédaille – Editions Belfond Vintage – 512 pages – 18 Euros
site de l’auteur : http://www.thorntonwilder.com ( autres romans en livres de poche )
sites des éditions : http://www.belfond-vintage.fr
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