J’ai prévenu que je ne parlerai pas de livres contenant de la violence. Mais voici l’exception : parce que le thème est bien traité et que les personnages semblent sortis de la vie réelle – qui peut être violente, dure. Cependant, l’auteur ajoute peu à peu son humanité , qui est donc toujours possible.
En exergue, une pensée de Voltaire : » Dans une avalanche, aucun flocon ne se sent jamais responsable » – Voltaire est aussi cité en fin de volume, pour sa fameuse phrase sur la tolérance, souvent reprise en effet – mais qui, telle quelle, n’est pas de lui. Elle est d’une commentatrice de ses oeuvres, dans une note en bas de page. Quelle importance, si elle résume l’esprit de l’écrivain, n’est-ce pas.
Ca commence très fort :
» Isabelle Etcheverry arpente l’allée centrale de la salle de cours. La B 29 : un numéro d’avion de guerre, mais cet après-midi, le bombardier prend plutôt des allures de planeur perdu au gré des vents.
– Comprenez-moi bien, ce personnage n’a pas seulement soif de reconnaissance, il a surtout soif d’amour !
Le bouquin de Radiguet entre les mains, tel un prêtre avec son bréviaire, la jeune prof de français harangue depuis le début du cours pour essayer d’intéresser ses troisièmes. Elle rame un maximum dans la somnolence de cette fin de journée, à contre-courant d’un fleuve de fatigue et d’ennui. Les intéresser ? Les réveiller lui suffirait. Les livres sont ouverts sur les tables, mais certainement pas à la bonne page pour tout le monde. Isabelle a remarqué depuis un moment le catalogue de tatouages et de piercings que Marina planque sur ses genoux …
– Soif d’amour ! répète Isabelle pour tester l’attention de ses élèves. » …
Ces paroles déclenchent des commentaires personnels inacceptables, alors que pourtant la jeune femme fait montre de compréhension, d’autorité et même d’humour. Elle a l’expérience des classes difficiles, aussi elle tente d’établir un dialogue. Pourtant elle doit se résoudre à demander à trois costauds de sortir, ce qu’ils font, mais en la prenant à partie sur sa vie personnelle. Le cours continue :
» Elle regarde ses élèves penchés sur leurs feuilles. Elle les aime bien. Ils l’épuisent et plus encore en ce vendredi d’un mois de mai caniculaire, mais ils la sauvent. Elle les trouve aussi beaux que ridicules, aussi égoïstes que généreux, presque tous. Ils se déplacent en clans … Ils sont solitaires aussi, inquiets, perdus et passionnés souvent, même quand ils haussent les épaules, le ton et les yeux au ciel « …
Parallèlement, un drame se joue : quelqu’un a été attaqué, et tente de comprendre, de lutter contre la mort qu’il voit arriver …
Et tout près, un concert est organisé dans un théâtre usé où seront rassemblés trois cents jeunes. L’un des leurs, pour se venger de leur incompréhension, provoque un incendie, tout en ayant le réflexe de l’attribuer à un autre !
L’intensité dramatique, constante, s’amplifie lorsque s’ajoute l’enquête policière nécessaire.
Hubert Ben Kemoun prend soin de préciser qu’il terminait tout juste son livre quand est survenu le 15 novembre 2015, qui nous marque tous. Il écrit : » Ce livre compte profondément pour moi, et si le lecteur a tous les droits, aimer ou détester, les auteurs ont des devoirs. Voilà qu’avec ces événements atroces, s’ajoutait pour moi l’inquiétude de ne pas passer pour un opportuniste.
Ces quelques mots ne sont en rien une justification. Ils ne sont rédigés ici que pour dire que les auteurs ne cessent de s’interroger sur ce qu’ils racontent dans leurs pages, mais ils ne sont pas les journalistes ou les reporters du monde. Ils le devancent « .
Voilà une honnêteté, une gravité, qui incite à la réflexion. Ce livre si dur a une valeur éducative, une morale. Un effet de catharsis ?
Hubert Ben Kemoun – La fille quelques heures avant l’impact – Roman – Flammarion Jeunesse – Format broché 14 x 21 cm – 236 pages – 13 Euros – ( Dès 14 ans )
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