Les dames du Prix Femina en 1934 ont eu la main heureuse en décernant leur prix Femina Etranger à Stella Gibbons pour son roman alors intitulé La Ferme du Froid accueil ( Cold Comfort Farm ). Les concurrentes déçues, Rosamund Lehmann et Elisabeth Bowen, eurent l’appui de Virginia Woolf qui manqua s’étouffer de dépit, en avalant son thé de travers, car elle qui avait déjà reçu ce prix ne comprit pas du tout qu’il puisse couronner un roman satirique très drôle.
Il lança son auteur, poète, journaliste, écrivain, et obtint un grand succès, relayé par une suite, et des oeuvres de toutes sortes. Le voici réédité dans sa fraîcheur subversive, avec un titre différent – tandis que d’autres romans de Stella Gibbons sont proposés aux Editions Héloïse d’Ormesson.
Le lecteur doit effectuer un petit effort d’adaptation pour en goûter la saveur, car l’humour est décapant, quelquefois déstabilisant, ironique. Stella Gibbons a réussi sa satire des romans campagnards misérabilistes façon » La Renarde » de Mary Webb, et autres célébrités intouchables alors.
Elle transporte sa jeune, jolie, intelligente et sympathique héroïne, Flora Poste, de son milieu londonien mondain et snob jusqu’à la ferme de ses cousins, au nord de l’Angleterre, de plus, en pleine mauvaise saison. Flora, devenue subitement orpheline, vivait provisoirement chez une chère et élégante amie et se rendait avec elle et ses flirts dans tous les endroits chics, mais elle savait que sa situation était provisoire. Elle chercha alors un toit et elle écrivit à divers membres de sa famille pour leur demander un hébergement. Façon Jane Eyre, mais les deux héroïnes ont très peu de points communs !
La seule à lui répondre favorablement avec une invitation concrète est sa tante Judith – et il ne lui reste plus qu’à se rendre jusqu’à cette ferme et à faire connaissance de ses nombreux cousins. On vient la chercher à la gare dans un ancien boghei – à travers une campagne humide, jusqu’à la ferme très peu hospitalière. Elle a sa chambre, sale, comme tout le reste. Mais elle agit comme Scarlett, avec énergie et sens de l’organisation.
Après un premier repérage, elle parvient à faire nettoyer les rideaux rouges de sa chambre, elle pousse quelques restes sur la table commune de la cuisine pour un thé convenable. La cuisine est préparée dans l’âtre, grâce à un chaudron – et évidemment, l’électricité n’est pas parvenue jusque là. Il y a beaucoup à faire. Les cousins sont plus que pittoresques, excentriques, Tante Judith incarne la mélancolie, et dans une pièce là-haut, vit la douairière, qui ne sort qu’ une fois l’an pour vérifier que tout son monde est présent dans sa maison. C’est qu’il existe un terrible secret …
Le taureau de la ferme, toujours enfermé dans son box, mugit d’énervement. Flora ouvre ses portes et il devient très gentil dans son pré…
C’est Adam qui s’occupe des vaches :
» Les bêtes se tenaient tristement, la tête baissée sur l’auge de leur stalle. Disgracieuse, Insoucieuse et Dédaigneuse attendaient leur tour d’être traites. De temps en temps, avec un bruit râpeux et aigu comme celui d’une lime passée dans la soie, Dédaigneuse promenait maladroitement sa langue rêche sur le flanc osseux de Paresseuse, toujours humide de la pluie tombée cette nuit à travers le toit; ou bien Insoucieuse levait ses larges yeux inexpressifs vers le râtelier au-dessus de sa tête, d’où elle arrachait une bouchée de toiles d’araignée. Une lueur faible, humide et trouble, analogue à celle qui brille sous les paupières d’un homme fiévreux, baignait l’étable « .
En deux jours, Flora conçoit un plan pour chacun de ses cousins et neveux, qu’elle commence à mettre à exécution, avec grande persévérance. Elle s’intéresse beaucoup à la ravissante jeune fille de la maison, qui parcourt la lande … et entreprend d’organiser son mariage avec le jeune châtelain voisin qu’Ellfine aime ( et réciproquement ). Flora discerne les points faibles de chacun, éloigne le prédicateur terrible jusqu’aux Etats-Unis, transforme un autre, passionné de cinéma … en acteur … ainsi de suite, jusqu’au final, éblouissant !
Et elle-même ? Elle a évité au village l’ennuyeux Mr Mybug, et elle a trouvé l’âme soeur. Tout est bien qui finit bien.
Un roman à redécouvrir, car il dépayse à tous points de vue et rend l’humeur joyeuse.
Stella Gibbons – La ferme de cousine Judith – Roman traduit de l’anglais par Iris Catella et Marie-Thérèse Baudron – Editions Belfond Vintage – 351 pages – 15 Euros
( Tous droits réservés, etc – copyright )