
Un jour de 1999, Justine décide de quitter Patrick, son compagnon. Pendant que ses deux filles, Angela et Melanie, sont en classe, vite, elle rassemble des vêtements et objets indispensables, les porte dans sa voiture, puis elle passe à la sortie de l’école récupérer ses filles … elles laissent derrière elles San Diego, Californie, pour rejoindre la maison du lac dans le Minnesota :
» Elle n’avait pas prévu de le quitter. Pourquoi ferait-elle une chose pareille ? Il était tout ce qu’elle attendait d’un homme, tout ce que Francis, le père de ses filles, n’avait jamais été. Fidèle. Fiable. Rentré tous les soirs à 17 h 30. Avec lui, elle se sentait en sécurité. Surtout depuis le cambriolage « .
Sa mère, Maurie, qui est toujours en déplacement et mène une existence fantaisiste, vient de lui téléphoner : sa grand-tante Lucy est morte et lui a laissé la maison de famille près du lac, et à elle, Maurie, les bijoux de sa mère dont sa bague de fiançailles.
Justine prend la précaution de ne laisser aucune trace, et pendant les dix jours de route, elle paie en argent liquide les motels, les repas, les achats de vêtements puisqu’elles vont vers le froid. Elle a seulement téléphoné à l’avocat qui la reçoit plus tard sur place pour lui confirmer que la maison est à elle, avec un peu d’argent.
En arrivant, elles ont vu le lac noyé dans la brume, sa surface déjà prise sous une couche de glace grise. Elles ont vu le lodge tenu comme dans le temps par les frères Miller, et c’est Matthew Miller qui les attend sur la route pour leur remettre les clés de la maison jaune. Aussi usée à l’extérieur qu’à l’intérieur, la maison ancienne, bien froide aussi. Justine la découvre comme ses filles et les réconforte, trouve comment faire du feu, voit que les lits ont été préparés. Bien plus, Matthew, qui pourrait sembler inquiétant, bourru, vient leur apporter des provisions, et se révèle protecteur.
Elle pense aux trois soeurs, Lucy, Lilith, qui est partie avant elle, restées ensemble avec leur mère, Emily, la toute petite, dont la disparition à six ans un jour d’été n’a jamais été élucidée … Justine a laissé son emploi chez un médecin à San Diego, et même avec l’héritage, elle doit envisager de trouver un travail dans la région. Tout d’abord, elle inscrit ses filles à l’école la plus proche. Du point de vue d’Angela et Melanie, le contraste est rude, surtout à cette saison. De toutes façons, la directrice de son école l’avait prévenue que Melanie connaissait des difficultés, et il semblerait que la petite fille soit secrètement soulagée de partir.
Restée seule, elle fait l’inventaire, évidemment émue, et découvre des carnets noirs écrits par Lucy à son intention. Lucy a vu les années passer et elle a tenu à transmettre ses souvenirs et ses révélations à sa nièce.
Et c’est ainsi que le récit se déroule en deux temps, alternant les chapitres de 1935, quand Lucy se raconte à la première personne, et de 1999, puisque Justine tente de reconstruire un foyer pour ses filles et elle. Elle veut leur préparer des cookies qui font toujours plaisir, mais elle s’aperçoit au dernier moment que le four ne fonctionne pas ! Néanmoins, la maison se réchauffe et un rythme de vie s’installe. Elles partent toutes les trois en voiture le matin, et pendant que ses filles sont en classe, Justine se rend à la bibliothèque qui porte le nom de sa tante Lucy car elle y a travaillé et a laissé ses livres … cherche un emploi, se met dans l’ambiance en déjeunant dans un petit restaurant de l’endroit, puis récupère ses filles.
Elle découvre par les carnets de Lucy la vie de sa famille en cet été de 1935, quand il faisait si beau. Lucy et Lilith nageaient, se rendaient au lodge rencontrer les jeunes venus en villégiature avec leurs parents, comme tous les ans. Et elles parcouraient la forêt entourant le lac, avec leur vie bien à elles. Elles avaient aménagé l’intérieur de l’Arbre de Cent ans en cachette conçue comme un abri. La petite Emily suivait comme elle pouvait, et préférait souvent rester avec leur mère. Quant au père, il se montrait de plus en plus intransigeant au fur et à mesure que ses filles devenaient jeunes filles, particulièrement Lilith, qui, selon lui, ne devait pas avoir d’amoureux.
Les frères Miller sont de bons camarades, Matthew veillant sur son jeune frère Abe, un peu simple d’esprit.
Mais à la fin de l’été, quand les familles préparent leur départ, et que se met en place la fête habituelle, les événements prennent un tour inhabituel, étrange.
Emily a trouvé une portée de chatons dans la forêt et veut bien repartir en ville, mais avec son chaton préféré, ce que sa mère refuse. Emily tente alors de s’enfuir … on la retrouve, toute menue, toute fragile, mais une nuit, elle disparait pour de bon, et jamais on ne la reverra, sa mère restant pétrifiée de douleur, et quant à son père …
1999 : Justine s’aperçoit que Melanie a une véritable fascination pour Emily, dont elle voit les photos. La directrice de l’école lui fait part de son inquiétude car les dessins de Melanie sont révélateurs de violences, mais pourquoi ? Sa fille ne lui dit rien. A l’école aussi, une fête se prépare, et la professeur de chant lui dit que Mélanie est très douée.
Et voilà que Patrick arrive, toujours soucieux de se rendre utile, à sa façon que d’instinct, Justine avait estimée exagérée.
Heather Young fait monter le suspense parallèlement, à plus de soixante années d’intervalle, faisant preuve d’une maîtrise de grande romancière. On lit une chronique familiale, d’un été à un hiver, d’une génération de femmes à une autre, et tout à coup, les drames incroyables surgissent pour Lucy, Lilith, Emily en 1935, et pour Justine, en cet hiver 1999, à Noël.
Je peux dire que je n’ai rien vu venir, et que, toute prise par la douceur, poétique et précise, de l’ écriture, l’atmosphère bien rendue du lac fascinant et de ses environs, j’ai eu un choc, double ! Tout s’explique, les réticences de Justine vis à vis de Patrick, le secret qui lie Lily et Lilith, l’attirance de Melanie pour Emily. C’est incroyable. ( J’ai quand même mis quelques indices, très discrets ! – ah, ce four ! et les dessins )
Ce roman m’avait été recommandé, recommandation amplement justifiée : un premier roman magistral, dans une nouvelle collection, » Le cercle Belfond « .

Heather Young – Un été près du lac – Roman traduit de l’américain » The Lost Girls » par Carla Laveste – Editions Belfond – 384 pages – 21, 50 Euros – Collection » Le cercle Belfond «

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